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Préambule : cet article inédit, regroupant plusieurs chroniques axées jazz, a été rédigé en octobre 2012 pour une parution dans le n°83 mais n'y a pas trouvé sa place. Ces albums n'ayant pas été retraités ultérieurement dans le magazine, c'est la raison pour laquelle nous le publions aujourd'hui
CHRONIQUES DE JAZZ … ou comment
faire jazzer un progtologue !
L'idée de cet article m'est venue en constatant que dans
notre trame de travail pour le numéro que vous avez entre les
mains, nombre d'albums du label Moonjune n'allaient pas
trouver de volontaire car à priori trop typés jazz /
jazz-rock. Ainsi, si vous avez dû trouver quelque part dans ces
pages les impressions de mon collègue Patrick sur les
excellents Mahogany Frog et SH.TG.N du même
label, d'autres perles comme Ligro ou Tohpati Bertiga
n'auraient pas l'extrême honneur d'arriver jusqu'aux oreilles
les plus averties (n'est ce pas Jean-Christophe ?) des
lecteurs de Koid9 ? N'écoutant
que mon courage, et profitant du fait que j'avais récemment
acheté d'autres cd un peu "borderline", je me suis
senti le devoir de sortir très provisoirement de ma
flemmardise aiguë pour réparer ce fâcheux manque,
pensant – j'espère à raison - qu'un lecteur du
Koid9 éclectique est tout aussi apte à s'intéresser
à la dernière découverte fm-hardisante
germano-suédoise de chez Frontiers qu'aux notes de
quelques norvégio-indonésiens torturés. Bref,
voici ci-dessous, un petit aperçu de sorties récentes
(encore que …) en matière de musiques que l'on se sait
pas trop où caser pour faire plaisir aux étiqueteurs :
s'agit-il de jazz, de jazz-rock, d'avant-garde ou de je ne sais quoi
d'autre ? A vous de voir si au fond tout cela n'est pas non plus
regroupable sous la bannière "musiques progressives".
Terje Rypdal Odyssey In Studio and In Concert (ECM)
Ouvrons le bal par une nouveauté qui n'en est pas vraiment
une, en tout cas en partie seulement. Je m'explique … Il y a
bien longtemps, au siècle dernier, deux inventeurs du nom de
Philips et Sony, se mirent en tête de nous
prouver par a+b que leur géniale trouvaille appelée
compact-disc allait reléguer nos bons vieux vinyles dans nos
greniers d'où ils ne sortiraient que lors des traditionnels
vidages de printemps de ces derniers. Au début, tout le monde
trouva cela effectivement fabuleux et entreprit le rachat complet de
sa "vinylothèque" en "cdthèque" et
ce en dépit de rééditions souvent pitoyables et
bâclées : qualité audio moins bonne, livrets
non reproduits et, pire, charcutage des titres. Ainsi, du fait de la
capacité limitée du providentiel support (74mn aux tout
débuts, puis 80mn) et par souci d'économie, beaucoup de
double-albums se virent amputer de quelque(s) titre(s) pour les faire
tenir sur un seul cd. Mais petit à petit les ventes
s'essoufflèrent, la jeunesse, mais aussi certains "vieux" indélicats, ne voyant pas l'intérêt
d'acheter d'encombrantes rondelles de plastique alors que l'on pouvait
tout trouver gratuitement sur internet en 2 clics de souris et le
supprimer tout aussi facilement de ses mini-walkmen pas plus gros
qu'un briquet ! Le principe du rasoir jetable appliqué à
la culture ! Philips, Sony et les autres se rappelèrent
alors qu'ils n'avaient pas fini le boulot et inventèrent la
remasterisation, la remasterisation de la remasterisation,
l'exhumation de fond de tiroirs, puis celle du tiroir d'en dessous,
l'anniversaire des 25 ans, celui des 30 ans et ainsi de suite …
si bien qu'au final les désormais vieux possesseurs de vinyles
dont je parlais plus haut ont acheté 5 ou 6 fois le même
disque (et ce n'est pas encore fini!), faisant bien marrer leurs
gosses qui ne comprennent toujours pas que l'on puisse payer de la
musique ! Curieusement, l'album qui nous intéresse a
un peu échappé à toutes ces étapes, pour
nous arriver aujourd'hui pour la première fois, presque 40 ans
après sa parution, dans une réédition cd
complète, et même augmentée d'un joli cadeau
bonux.
"ENFIN ! " est-on en droit de s'exclamer, car il
faut bien admettre que la seule réédition cd battait
des records d'irrespect de l'oeuvre originale. On se demande même
comment un label à priori humain comme ECM avait pu en
arriver à un tel résultat digne d'une multinationale.
"Odyssey" dans son format double-33 tours d'origine
s'étendait approximativement sur 85 minutes. Cela en faisait
donc une bonne dizaine de trop pour le coucher sur cd en 1991. ECM
n'y est donc pas aller avec le dos de la cuillère et s'est
carrément débarrassé de la face 4 du vinyle et
du seul titre qui la compose. Or, quitte à tuer de suite le
suspense de cette chronique qui, malgré ses déjà
environ 30 lignes, n'a même pas encore commencé, les 24
minutes de "Rolling Stone", pour ceux qui ne connaissent
pas l'album, justifient à elles seules l'achat de cette petite
merveille. La musique de Terje Rypdal y est parfaitement
résumée : une beauté aussi glaciale que les
fjords norvégiens sur la rive desquels elle a été
enregistrée. La recette est finalement assez simple :
une ligne de basse en boucle, hypnotique et entêtante, une
batterie aussi légère qu'une plume, des nappes de
synthé et là-dessus des phrases de saxophone et de
guitare qui viennent carrément déchirer l'apparente
apathie. Bon sang que c'est beau ! Oh bien sûr de temps
à autre cela bouge un peu plus comme sur "over birkerot"
par exemple, en ouverture du cd2, mais la plupart du temps des
fresques telles que "midnite", "adagio" ou "fare
well" vous plongent en apnée sous la banquise. C'est que
la musique de Rypdal prend
son temps entre chaque respiration, ici pas de déluge de
notes, ce n'est pas le genre de la maison. A l'image d'un David
Gilmour par exemple, c'est le poids de chacune d'elles qui
comptent, pas leur nombre et en ce sens j'ai beaucoup de mal à
situer cette musique en terme d'étiquette, disons que je la
placerais à l'intersection de deux routes sensées ne
jamais se croiser : Miles Davis (celui des 70s) et Pink
Floyd de la même époque, ni rock, ni jazz mais
planante certainement, et par conséquent fortement conseillée
à un amateur de prog. Un chef d'oeuvre absolu en ce qui me
concerne, enfin réhabilité par son éditeur. D'autant
que, cerise sur le gâteau, le troisième cd de ce petit
coffret, intitulé "Unfinished Highball", propose un
concert de presque 70 minutes totalement inédit, non seulement
par le fait qu'il dormait au fond d'un tiroir depuis presque 40 ans,
mais également par le matériel qu'il contient. En effet
aucun des titres n'a jamais été entendu auparavant sur
un album, à l'exception de "Dine and dance to the music
of the waves" que les connaisseurs reconnaîtront comme une
ébauche de l'album "Waves" paru en 1978 dans une
version fort différente cependant.
Et cela n'a rien
d'étonnant car la formule adoptée pour ce concert de
1976 à la radio suédoise est elle aussi inédite.
Le groupe, car à ce moment "Odyssey" est devenu par
extension le nom du groupe de Terje, est accompagné par le
Swedish Radio Jazz Group, une entité qui compte en son
sein une bonne dizaine de cuivres. deux basses, un mellotron et une
batterie. Inutile de préciser que cela change considérablement
la couleur de la musique habituelle de notre homme, l'habillant cette
fois réellement de jazz tout en conservant la patte du maître
reconnaissable entre mille dès lors qu'il égrène
ses notes. Une sacré découverte ! Un dernier
mot pour l'emballage. Comme le veut la charte graphique ECM c'est on
ne peut plus sobre : un petit coffret blanc, contenant les 3 cd
dans des étuis cartonnés blancs et un livret noir et
blanc de 26 pages très détaillé sur la genèse
de l'album et du concert bonus. Par contre, à l'exception
d'une toute petite photo de 6 sur 6 en page 23, on a perdu l'artwork
original ci-contre. Que ce petit bémol ne vous empêche pas
d'acquérir ce joyau d'urgence !

Tohpati Bertiga Riot (Moonjune)
Quittons les forêts scandinaves, mais pas les chefs
d'oeuvre, pour des contrées beaucoup plus exotiques, surtout
en matière de musiques dites "rock" :
l'Indonésie. Et dans le genre "rock" ça
commence très fort, en fait comme avait fini l'album
précédent, par un titre de … hard rock (je
n'ai volontairement pas écrit "metal" )! Un
peu comme pour nous mettre au parfum d'entrée :
"attention les p'tits amis, installez-vous bien confortablement
parce que çà va envoyer sec !". C'est en
fait le seul point commun entre ces deux albums du guitariste
Tohpati, de son vrai nom Tohpati Ario Hutomo. Le
premier, "Save the planet" était sorti en 2010 sous
l'appellation Tohpati Ethnomission
(un nouvel album est
annoncé pour 2013)
et, mise à part donc son dernier titre, se rapprochait
plus des travaux du groupe dont il n'est "que" le
guitariste, Simak Dialog (2 albums chez Moonjune
Records également),
une sorte de big band produisant une musique jazz/ jazz-rock sous
fortes influences ethniques locales. Ici point de big band
puisque, vous l'aviez noté, parlant indonésien aussi
couramment que moi, Bertiga sous-entend "trois". Le
titre de l'album lève toute ambiguïté et enfonce
le clou : c'est bien la formule power-trio qui est au menu. Et
quel festin ! "upload" ouvre donc le cd en trompe
l'oeil avec ses gros riffs sortis tout droit d'un groupe de fusion
mais si par la suite les watts diminuent, l'intensité, elle,
reste la même. Dès le deuxième titre c'est
beaucoup plus léger et très funky, funk que l'on
retrouvera sur "bertiga" en toute fin d'album. Puis petit
retour à la fusion avec "riot" et ses sonorités
assez "vanhalenniennes". Et ainsi de suite, chaque titre va
nous entraîner vers des rivages forts différents. Par
exemple "pay attention" et "lost in space"
semblent plus inspirés par les guitaristes jazz-rock
mélodiques à la Stern, Scofield ou
Carlton tandis que certains passages de "rock camp"
ou "absurd" peuvent faire penser à du Satriani
mais sortent vite du chemin pour se lancer dans les improvisations
les plus folles. Tohpati est un génie de la six cordes
c'est un fait, mais cela ne suffit pas à faire de la bonne
musique. Il ose tout, y compris le scratch sur "disco robot",
mais ne laisse jamais l'impression qu'il veut nous en mettre plein la
vue. Bien sûr certains ne verront là-dedans que de la
démonstration gratuite, comme je la vois moi-même dans
des tas de projets instrumentaux de ce genre à base de
guitariste bavard, mais évidemment personne ne perçoit
les choses de la même façon. Les goûts et les
couleurs … Je trouve pour ma part que cette musique
respire, qu'elle est certes virtuose, d'autant que Indro
Harjodikoro à la basse et Adityo Wibowo à la
batterie ne sont pas des manchots non plus , mais également
d'une inventivité et d'une fraîcheur incroyables, assez
inclassable et surtout jamais "foutraque" malgré
les noms aussi divers cités plus haut, l'oeuvre d'un musicien
intelligent qui met sa technique au service de la musique et non
l'inverse et sait rester cohérent. Dernier petit détail :
le disque a été enregistré live sans
pratiquement d'overdub. Cela en dit long sur la spontanéité
du jeu de ces messieurs. Longtemps qu'un disque de guitare
instrumentale ne m'avait pas fait un tel effet ! A vous de juger
sur http://moonjune.com .

Ligro Dictionary 2 (Moonjune)
Toujours indonésien, à croire que Moonjune
est tombé sur un filon (il semblerait d'ailleurs que
Leonardo Pavkovic crée un nouveau label
en 2013, MoonjuneAsia – Indojazzia,
spécialement consacré à la musique de ce pays),
toujours en trio et toujours virtuose, la musique de Ligro
empreinte à peu près les mêmes traces que celle
de Tohpati Bertiga. Du moins
en apparence. Car l'approche de la chose jazz-rock me
semble quelque part plus classique. Certes les digressions rock /jam
band voire hendrixiennes, comme sur "Don Juan" par exemple,
sont bien là mais le tout m'apparaît plus calibré,
moins improvisé … en tout cas sur la première
partie du cd qui s'avère bouillonnante et assez
démonstratrice, comme par exemple l'époustouflant
"Stravinsky" dont le clip promo est visible sur notre site
(page "Musiques"). "Future" nous entraîne
même sur des territoires bluesy qui donnent un petit côté
Robben Ford au projet. Tout semble en fait mis en scène
pour mettre en avant le jeu à couper le souffle du guitariste
Agam Hamzah. Mais à partir de "Bliker 3"
la physionomie du cd change sensiblement. Le rythme ralentit et la
musique devient beaucoup plus expérimentale, moins écrite.
Hamzah reste la vedette mais il sort de son rôle de
guitar-hero traditionnel, délaisse les gammes et le jeu en
accord pour se lancer dans l'impro, la recherche et une certaine
dissonance. C'est à ce moment que l'on prend vraiment
également la mesure du jeu de Adi Darmawan et Gusti
Hendi, respectivement bassiste et batteur, qui construisent une
base rythmique de haut vol. C'est sur le titre final, "transparansi",
que le phénomène est le plus flagrant, à tel
point qu'il demande presque une double écoute : d'un côté
la guitare qui explore des lignes mélodiques extrêmes,
de l'autre une rythmique de folie. Bref, ces trois là s'y
entendent pour vous dégoûter à jamais de prendre
un instrument en main. Reste à connaître les
accointances auditives de chacun pour supporter la recette. On en
revient toujours au même problème du goût et des
couleurs …

Moraine Metamorphic rock (Moonjune)
Pour finir ce mini-tour d'horizon du label Moonjune, le nouveau
patron m'a dit "fais quand même le Moraine si tu
veux". Il est vrai que la chose date déjà de 2011.
C'est le 2ème album du groupe orienté prog du
guitariste compositeur Dennis Rea. Pour la petite histoire on
peut le retrouver dans des aventures très différentes,
en solo ou avec le fabuleux Iron Kim Style, toujours chez
Moonjune. Ce garçon ne manque pas d'idées !
"Metamorphic rock" retrace la performance du groupe au
NearFest 2010. Je rassure ceux qui pense qu'un album live si
tôt dans une carrière est un peu prématuré :
50 % des titres sont inédits, quant aux autres ils sont
tellement revisités qu'il n'y a aucun risque d'un
copier-coller avec leur version studio. Au-delà d'un
probable penchant à ne pas produire une musique figée,
cela s'explique également par un bouleversement au sein du
groupe depuis l'album "Manifest density" en 2008. Le
violoncelle de Ruth Davidson, également principale
co-compositrice sur le premier album, cède sa place aux
saxophone et flûte de James DeJoie. Curieusement, c'est
le violon de Alicia DeJoie (anciennement Allen sur
"Manifest density") qui en profite car il me semble
beaucoup plus en avant que sur les quelques titres que je connais de
l'album précédent. Le tout est également plus
direct, plus percutant, plus énergique. Le rock de chambre à
la Univers Zero se mue en quelque chose de plus prog, un peu à
la Forgas Phenomena. Une musique aux frontières du jazz
moderne, de l'avant-garde et du rock progressif. Pas forcément
facile d'accès mais très attachant une fois apprivoisé.

Nils
Petter Molvaer Baboon Moon (Sufa / Sony)
Tant que je
suis dans les sorties plus trop fraîches, l'occasion au travers
de cet article de vous conter deux mots du dernier album du
trompettiste norvégien (décidément!) Nils
Petter Molvaer était trop bonne. De plus il se trouve
qu'au moment où paraissent ces lignes l'homme est en pleine
tournée française avec Manu Katché, donc
pas tant hors "actu" que cela. Il y a un an je ne
connaissais même pas l'existence de ce monsieur, aujourd'hui sa
musique me fascine, un peu à l'image de celle de son
compatriote Rypdal. Plus haut, à propos de ce dernier,
j'évoque un croisement entre Miles Davis et Pink
Floyd, or je m'aperçois que c'est exactement ce
qu'évoquait la chronique de Jazz Magazine à
propos de cet album de Molvaer. Si le rapport avec le
célèbre trompettiste est évidente, pas forcément
dans le style mais plus dans le son en raison de l'utilisation quasi
systématique de la sourdine, la référence avec
la musique rock me paraît bien plus proche du post-rock que du
Floyd. A cela rien de vraiment étonnant non plus, puisque
suite à la défection de son guitariste attitré
souffrant d'acouphènes, Nils a recruté dans l'univers
du rock alternatif scandinave : Erland Dahlen
(ex-Madrugada) à la batterie et le guitariste Stian
Westerhus (ex-Puma et auteur d'albums sous son nom sortis
chez Rune Grammofon, un gage de qualité, et
collaborateur occasionnel de Jaga Jazzist et des fabuleux
Motorpsycho). Le résultat est une cassure assez
nette avec le jazz teinté d'électro qu'il pratiquait
sur ses albums précédents (et que j'ai découverts
depuis). Ici tout est calme, d'une infinie beauté, porté
par une trompette envoûtante, omniprésente mais pas
omnipotente. Si ses deux acolytes paraissent plutôt discrets de
prime abord, sans eux l'album a une tout autre couleur. La frappe du
batteur contraste notamment fortement avec la quiétude
ambiante, tout juste si on ne se croirait pas dans Led Zep.
Quant au jeu de Stian Westerhus il ne faut pas en attendre des riffs
ni même des solos. Je ne connais pas sa discographie
personnelle (je prendrai le temps de m'y intéresser dès
que j'aurai fini cet article) mais il est clair qu'il n'est pas
ici pour faire de l'épate. C'est à lui qu'incombe la
trame de fond et ma foi, son habillage sonore à base de
guitare et de claviers divers ne fait qu'embellir et mettre en valeur
l'ensemble. Attention toutefois à ne pas en conclure que
l'on nage en plein easy-listening. Surtout pas ! A l'inverse si
vous cherchez du rythme, du mouvement, des mélodies, passez
votre chemin. Ce disque est comme une brèche dans le temps qui
passe, un moment de suspension. Magnifique, mais exigeant !

Christian Scott Christian Atunde Adjuah (Concordjazz)
Ok, ok, la pochette de ce disque fait plutôt peur ! On
s'attend beaucoup plus à un mix de hip hop / r'n'b moderne
indigeste (désolé mais mon éclectisme a
malgré tout des limites!) qu'à l'album finalement
le plus jazz de cette petite sélection. Smooth jazz en
réalité. Peut-être vous poserez-vous la même
question que moi avant de connaître cet album : "c'est
quoi, le smooth jazz ?". Je découvre seulement le
terme alors qu'il semble désigner une forme de musique apparue
à la fin des années 60 et qui consistait à
rendre la fusion beaucoup plus accessible, se vautrant sans vergogne
dans la pop pour la rendre fréquentable par les radios. Et
c'est un petit peu là que ça coince ... Je me suis
laissé abuser par de nombreux extraits fort agréables
où la trompette du jeune néo-orléanais est
appuyée par une guitare aux arpèges particulièrement
entraînants. Le problème c'est qu'à réception
de l'album j'ai vite compris que tous les titres étaient à
peu près sur le même format et qu'il m'était très
difficile de retenir mon attention sur ces quasi 120 minutes (eh,
oui !!! 2 cd !!). Certes il y a bien le premier titre, très
"free" dans l'âme, ou encore d'autres où c'est
le piano qui prend le relais mais le tout est quand même très
monotone et bien peu aventureux, même si on n'est quand même
pas emmitouflé dans la ouate comme chez Grover Washington
Jr par exemple. Un petit grain de folie et quelques pétages
de plomb concentrés sur un seul cd (23 titres c'est
vraiment trop!) ne nuiraient pas à l'ensemble. En tout cas
en ce qui me concerne cela me permettrait probablement de ne pas
décrocher invariablement, voire à ne pas prendre ce cd
en grippe au fil des écoutes. Tout l'art de cette musique
semble être de rendre la complexité accessible à
tous mais je ne suis pas certain qu'elle atteigne son but. J'ai bien
du mal à en cerner le public tant cet album entre deux eaux me
paraît tout à la fois inaccessible au commun des
auditeurs de musiques formatées et bien trop peu aventureux
pour un auditoire exigeant. Pourtant à en lire les
commentaires de ci de là, on serait en présence d'un
chef d'oeuvre ...

Guillaume Perret and The Electric Epic Guillaume Perret and
The Electric Epic (Tzadik)
Finissons par un artiste français et non des moindres.
Guillaume Perret est un jeune saxophoniste électrique
et j'attendais le premier album de son Electric Epic avec une
certaine impatience depuis que je l'avais découvert il y a
environ 2 ans en concert dans le petit, mais grand par la
programmation, club des Lilas (93), Le Triton, puis
revu un an plus tard au même endroit. Il a fallu apparemment
tout ce temps avant de trouver un contrat de distribution. C'est
finalement John Zorn qui s'est laissé séduire et
héberge notre quartet dans la branche "Spotlight"
consacrée aux jeunes talents de son propre label Tzadik. Ces
deux concerts m'ont tellement estomaqué et l'attente fut si
longue qu'une petite crainte avait tout de même fini par
s'installer : et si la magie de ses deux moments d'exception
n'était pas retranscrite lors de son passage en studio ? Le
doute était clairement injustifié, ces 56 minutes sont
absolument captivantes, difficilement étiquetables et d'une
puissance de feu phénoménale. Je ne suis pourtant
pas fan du saxo comme élément central mais Guillaume
Perret réinvente l'instrument directement branché à
un rack de pédales d'effets digne d'un guitariste. Quant à
ses compositions, elles nous entraînent bien loin du jazz,
parfois même tout près du metal, ne serait-ce que par
l'énergie déployée et la monstrueuse frappe de
Yoann Serra. On flirte parfois avec la zeuhl, sur "Circé"
notamment, mais le bassiste n'étant autre que Philippe
Bussonnet (Magma et One Shot) ceci explique
peut-être cela. Côté guitares, c'est Jim
Grandchamp qui œuvre. Il m'avait fortement impressionné
en concert, non par une attitude guitar-hero qui serait
particulièrement déplacée dans le contexte, mais
bien par un jeu tout à la fois au millimètre et
étonnamment débridé, collant parfaitement à
l'ensemble. Cela se confirme sur cet album où au final
personne ne tire la couverture à lui, pas même le
leader/compositeur et le tout est d'une cohésion sans faille,
y compris quand Médéric Collignon (dont je
signale au passage la parution de son album hommage à King
Crimson) ajoute son cornet et divers effets à la folie
ambiante. Attention toutefois à ne pas en déduire un
peu vite que tout ici n'est que sauvagerie ! On titille parfois la
world-music avec les sonorités orientales de "Ethiopic
Vertigo" ou avec le titre d'ouverture "Kakoum" qui
entame la fête en force mêlant jazz, electro, rock et
sonorités qui m'évoquent l'Amérique centrale
! Et puis il y a ce pur moment de douceur, "Chamo", où
Sir Alice
vient poser sa voix angélique pour nous charmer en guise de
dernière respiration avant les 20 minutes cumulées des
deux derniers titres "Thème pour le rivage des morts"
et "Massacra" qui, comme leur titre le laisse supposer,
nous plongent dans un univers lourd, lugubre, torturé que ne
renierait pas un Shub-Niggurath
par exemple. Ce final vous cloue carrément au mur tant il
dégage une impression de puissance qu'à mon avis bien
des groupes de heavy ne sont pas en mesure de produire. Grandiose
est un mot qui me paraît bien faible pour décrire
l'effet de ce disque sur ma petite personne. J'avais quelque part un
peu peur que ce talent reste confidentiel mais il semblerait que la
centaine de spectateurs du premier concert ait fait des petits.
Certes nous ne sommes pas en présence d'une star du showbiz
(et heureusement
d'ailleurs !)
mais sa récente nomination aux Victoires
du Jazz
et les commentaires dithyrambiques glanés sur le net et dans
les médias (4 "F" Telerama,
une de Jazz News
...) rassurent quant à la poursuite de l'aventure. Musique
et dates de concerts (en tournée cet hiver) :
http://guillaume-perret.fr

PS :
Guillaume Perret est également au casting du collectif Lebocal
dont le dernier album vient d'être publié chez Musea
Parallèle.
Ainsi s'achève cette
petite sélection de musiques en marge de notre univers du rock
progressif mais dont la complexité n'en est pas très
éloignée. En espérant que certains albums
attireront votre attention, arriveront jusqu'à vos oreilles et
finiront par attiser vos sens. Ayant commencé ma carrière
de "mélomane" il y
a quelques décennies au son de Thin
Lizzy, Ted
Nugent, Foghat, Ganafoul
ou Iron Maiden
et y ajouter aujourd'hui des gens comme Nils
Petter Molvaer, me fait
dire que le grand écart est permis à tout le monde ...
Denis Chamignon
Chronique mise en ligne le 21/11/2014 et consultée 632 fois |