Entretien avec James LaBrie

Propos recueillis par Gilles Masson Début 2007

Après les présentations d’usage, durant lesquelles je lui rappelle nos différentes entrevues depuis 1998, et sans lui avoir cacher que mon accent anglais est toujours aussi horrible (affirmation à laquelle il me répondit que mon mauvais anglais sera toujours moins pire que son meilleur français), j’attaquais donc James de mes questions de fan assoiffé de réponses précises.

Si tu es d’accord, nous parlerons d’abord du prochain album de Dream Theater "Systematic chaos" pour lequel tu es en promotion aujourd’hui à Paris, puis nous aborderons la prochaine tournée et enfin nous terminerons par tes projets hors D.T.

OK, pas de problème !

Pourquoi, 10 ans après y avoir enregistré "Falling into infinity" avez-vous choisi de retourner aux Avatar Studio ? Je crois savoir que vous serez le dernier groupe à y avoir enregistré puisque ce studio a été démoli dès la fin de vos enregistrements. Est-ce vrai ?

Eh bien, tu sais, ce studio est un endroit avec un environnement très créatif, où on ressent de nombreuses influences, très inspirant. Les idées venaient rapidement et très naturellement, un peu comme d’habitude mais plus spécialement pour cet album. Nous nous sommes nourris des idées les uns des autres et avons enregistré dans la foulée les pistes de base de la batterie, de la basse et de la guitare. Ça marchait tellement bien entre nous que nous sentions vraiment que ce serait un grand album. Tu sais, je crois que s’asseoir et écrire des chansons pendant plusieurs mois voire un an, c’est perdre quelque chose de magique. En réfléchissant trop, on use plus son cerveau que son cœur ! Le résultat sonne souvent un peu "forcé" ou un peu mécanique.

Quel était ton sentiment d’enregistrer avec Paul Northfield ?

Oh ! Tu sais, il est un ingénieur du son extraordinaire ! Il a travaillé avec tellement de bons groupes et enregistré de bons albums ! "Operation mindcrime" (Queensrÿche), "Moving pictures" (Rush)… Il est dans le métier depuis si longtemps… Il a énormément d’expérience et comprend tout de suite ce qu’un groupe comme nous attendons de lui. En fait, nous avions déjà rencontré Paul, il y a un peu plus de 10 ans, et souhaitions l’avoir pour "Falling into infinity". Cela ne s’est pas fait à l’époque, mais cette fois, nous avons pris le temps nécessaire pour travailler avec lui et il a fait beaucoup de choses superbes. C’était vraiment bien qu’il soit avec nous du tout début jusqu’à la fin ! Tu verras, l’album sonne vraiment super !

Ben, tu sais, pour l’instant (N.d.A. : nous sommes le 30 avril), je n’ai pu écouté que le titre "Constant Motion". Est-ce que ce morceau est représentatif de l’album et pourquoi avoir choisi ce titre (puisque disponible sur le Net) pour présenter l’album aux fans et à la presse ?

Parce que nous pensons vraiment que c’est un titre fort. Nous aurions tout aussi bien pu choisir un titre plus obscur ou plus extrême ou plus accessible mais nous avions à présenter l’album dans une tonalité, une attitude, une personnalité qui va bien avec l’album.

Justement ! Mike (Portnoy, sur son site) nous a promis que cet album aurait tous les éléments qui ont fait votre renommée : gros riffs ravageurs, grandes suites progressives et de belles mélodies. Penses-tu que Mike a tenu sa promesse ?

Pas l’ombre d’un doute ! Si quelqu’un croit qu’il est juste un super album de heavy metal du début à la fin avec rien d’autre au milieu, il se trompe ! Ici tout a sa place ! Les autres styles de musiques pour lesquelles Dream Theater est connu, le progressif, le rock classique tout aussi bien que le heavy metal sont rassemblés ensemble dans cet album.

OK ! Je te demandais ça parce que, à la première écoute, "Constant Motion" ressemble un peu, dans le couplet, à du Metallica. Qu’en penses-tu ?

(un poil agacé par la question) Tout le monde essaye de comparer et dit que ça sonne comme untel pour lui. C’est juste parce qu’ils sont familiarisés avec tel ou tel groupe. C’est inévitable ! Des gens peuvent toujours dire que ça ressemble à du Pantera, d’autres à du Deftones. Tu sais, je veux dire, c’est juste la nature de ce style particulier d’écriture musicale qui fait que pour eux tous les groupes se ressemblent.

Pour composer cet album, aviez-vous comme les fois précédentes, emporté des disques de référence pour vous inspirer ?

Non, nous n’avons pas écouté d’album en particulier. Je pense que cela nous a aidé dans le passé mais que nous avons, à présent, notre propre identité. Nous avons une pulsation musicale actuelle qui nous est propre. Nous sommes néanmoins toujours à l’écoute de ce qui se passe dans le monde de la musique, ce qui nous permet de nous tenir au courant et de rendre notre son contemporain. Je pense que ce qui a forgé l’identité de Dream Theater, ce sont tous les styles et influences que nous avons gardé intacts, une identité musicale attractive, c’est ce que nous sommes avec un son actuel et dans une démarche non répétitive. Je pense que toutes ces choses que nous contrôlons font ce que Dream Theater est aujourd’hui.

Pourquoi ce nouvel album s’appelle-t-il "Systematic chaos" ? Cela a-t-il une signification particulière pour vous ?

Tout le message derrière ce titre est que nous avons besoin de commencer à repenser la façon de résoudre les problèmes sociaux et que nous ne trouverons pas de solutions dans le conflit ou la guerre ! Le seul moyen de changer les choses est d’établir des ponts entre les sociétés et entre les cultures. En premier lieu, ça peut commencer par l’éducation. Ainsi, nous pourrons comprendre l’autre un peu mieux et nous respecter les uns les autres. Ce n’est que dans le dialogue que nous pourrons résoudre nos problèmes. Et pour l’instant, ce n’est pas le cas. A moins que les gens se lèvent, se réveillent et ne laissent plus les politiciens décider pour eux ce qui est bon ou quelle direction prendre. Il y a trop d’imperfections, de corruptions, de moyens alternatifs pour faire des gains financiers et, quels que soient les intérêts en jeu, nous devons éliminer ces terroristes qui ont vraiment créé un monde précaire.

Vaou ! Ta réflexion entraîne forcément ma question suivante : est-ce que c’est un concept album avec l’épique "in the presence of ennemies – part I" ouvrant l’album et la "part II" le fermant ?

No, no, no. Ce n’est définitivement pas un concept album ! C’est juste un album avec différentes chansons. Pour la maison de disques, cet ordre de chansons semblait "couler" mieux pour la présentation de l’album. "In the presence of ennemies" est vraiment une seule longue chanson. Nous n’avons pas souhaité donner à cet album une interprétation conceptuelle. La seule chose qui peut y faire penser, c’est cette présentation mais c’est tout !

A propos de maison de disques, penses-tu, comme il est dit dans "prophets of war", qu’il était temps de changer (dans la vidéo de présentation de l’album mis à disposition par Roadrunner sur le Net, on peut apercevoir une cinquantaine de fans, venus spécialement enregistrer les chœurs dans le studio, répéter plusieurs fois la phrase "Time for change") je veux dire temps de changer de label ? Qu’est-ce qui n’allait plus avec East-West/Time Warner et pourquoi avoir choisi plutôt Roadrunner ? Qu’attendez-vous d’eux particulièrement ?

Nos obligations avec Warner arrivaient à terme. Nous sommes restés avec eux pendant près de 15 ans. A l’époque, nous savions qu’il y avait plusieurs labels prêts à s’investir et à aller dans la direction où nous souhaitions aller sans perdre notre identité musicale. Warner avait bien compris le groupe. Ils étaient conscients du potentiel du groupe dès ses débuts et ils avaient du respect pour nous, notre passion, nos théories et directions musicales. Aussi, ils étaient un choix parfait et je pense qu’à travers les groupes qu’ils ont eus au catalogue, ils ont prouvé que quand ils croyaient dans un groupe, ils faisaient tout leur possible pour amener ce groupe au sommet. Parfait pour un groupe comme nous ! Mais, quand Warner commença à s’immiscer, à essayer de nous guider, de nous diriger au moment de "Falling into infinity", le groupe a failli éclater. Aussi, nous avons été parfaitement clairs vis-à-vis de Warner et leur avons dit qu’à partir de désormais, nous écririons et enregistrerions la musique que nous voulions sans qu’ils aient un mot à dire. C’est pourquoi "Scenes from a memory" et tous les albums suivants ont été réalisés tels qu’on le souhaitait. Nous avons besoin d’une complète liberté de création. Je sais que nous sommes aujourd’hui très chanceux de l’avoir. C’est uniquement de cette façon que le groupe peut exister en temps que tel et Roadrunner l’a bien compris.

Au fait, c’est une première ! "Systematic chaos" sera vendu dans une édition spéciale avec un DVD d’une durée proche des 90 minutes ! As-tu participé à sa conception et que contiendra-t-il ?

C’est vrai que beaucoup de fans vont apprécier cette initiative ! Je l’ai regardé et il m’a rendu fan ! Il y a des moments "behind the scenes", tout le processus d’écriture et d’enregistrement, et tu pourras nous voir dans notre élément, dans notre monde, en studio ou rencontrant des gens, ayant du plaisir, plaisantant, et surtout créant cet album pour qu’il devienne "Systematic chaos". Il sera possible de suivre l’évolution de la création de cet album du début à la fin. Ce DVD nous montre tels que nous sommes vraiment. Il reflète exactement le plaisir que nous avons eu à faire ce disque.

Puisqu’on parle de plaisir, c’est encore une première ! Charlie Dominici (le chanteur du premier album de Dream Theater "When dream and day unite" paru en 1989) ouvrira pour 3 de vos shows (les 5, 6 et 7 juin en Autriche, Hongrie et Croatie) ! Quelle bonne surprise ! Je suppose qu’il vous rejoindra sur scène pour une ou deux chansons pendant vos concerts. Avez-vous déjà répété ces moments ou allez-vous le faire bientôt ?

Well, tu sais, Charlie est quelqu’un que j’apprécie, je veux dire, quelqu’un de très "cool". Je suis content que de nombreuses personnes pourront enfin le voir avec son nouveau groupe, écouter sa musique et voir où il en est dans sa vie. A propos de l’avoir avec nous sur scène, nous n’en avons pas encore parlé entre nous. Ce n’est pas sûr. Si cela arrive, tant mieux, sinon tant pis.

Embrayons donc avec les concerts prévus dès ce mois de juin. 2 seulement planifiés en France : Clisson (le dimanche 24 juin) et Clermont-Ferrand (le mardi 26 juin) ! Quel choix étrange, n’est-il pas ?

(pensant que je lui demandais pourquoi Dream Theater participe à un festival de heavy metal – le Hellfest à Clisson aux côtés de Megadeth, Slayer, Korn, Machine Head, Mastodon, etc… – alors que ma question tournait plus autour de la raison du choix de ces 2 villes, loin d’être les plus célèbres ou réputés de notre cher pays) Tu sais, participer à un festival n’est pas étrange pour nous. Il y a de nombreux festivals auxquels nous avons participé dans le passé dont beaucoup sont de heavy metal ! L’ambiance est généralement très intense. Nous avons déjà partagé l’affiche avec Pantera et Slayer. Nous sommes un "nuclear band". Le type de musique que Dream Theater écrit, fait que nous sommes presque une légende musicale pouvant aller aussi bien dans les festivals de heavy metal que dans ceux réservés à la musique progressive ou encore ceux dits de rock classique. Nous pouvons jouer notre musique n’importe où. Un festival est juste une question du nombre de personnes qui peuvent nous voir. Toucher un public plus grand que le notre habituellement. Quant aux choix des endroits où nous jouons, nous dépendons de "booking agents" et nous allons là où les promoteurs veulent nous avoir.

OK ! Mais, après l’Europe en juin, une tournée d’un mois aux U.S.A. entre mi-juillet et mi-août, vous serez à nouveau en Europe avec un concert à Paris le 5 octobre. Une seule date en France ! Seulement ?

Il y aura sûrement plus de concerts mais à ce stade, ils n’ont pas été encore ajoutés. Tout ce que je sais, c’est qu’il y aura 3 concerts en France, mais cela peut encore changer. Peut-être un show de plus, un peu plus tard, mais à ce jour il n’y en a que 3.

Est-il prévu que vous jouiez deux soirs de suite dans une même ville et que, fidèles à votre habitude, vous repreniez un album légendaire d’un groupe culte en entier ?

Oui, quand nous faisons ça, c’est particulièrement excitant pour nous. Mais, comme tu l’as dit, ce n’est seulement quand nous jouons deux soirs de suite dans la même salle d’une même ville. Nous avons assez de groupes et de classic albums à reprendre pour les 10 ou 15 ans qui viennent ! Mais encore une fois, c’est juste une question de planning de tournée et à l’heure actuelle, je ne peux pas te dire quand cela se reproduira.

Tu sais que les fans dont je fais partie attendent avec impatience le "Made in japan" (cover de Deep Purple) dans la série des Official Bootlegs que Mike produit (Mike Portnoy a ainsi commercialisé via son site - www.ytsejamrecords.com - les albums de reprise de Metallica "Master Of Puppets", Iron Maiden "The Number Of The Beast" et Pink Floyd "Dark Side Of The Moon" - CD et DVD). Sais-tu si une date de sortie a été prévue ?

Je ne suis pas exactement sûr de quand ça sortira, dans un futur très proche en tout cas. Je comprends que sa sortie soit attendue car c’était fantastique. C’était vraiment cool de reprendre le "Made in japan" juste à la fin de notre dernière tournée japonaise. C’est définitivement un album super !

Il n’était pas trop difficile à chanter pour toi ?

Je dois dire que je le chante à 90% exactement comme Ian Gillan. Il y a juste quelques passages que je n’ai pas fait ou voulu faire comme lui, par exemple ces cris de folie. Cela aurait semblé un peu ridicule aujourd’hui. Le charme de ces choses, comme le fait de chanter un peu trop haut, être toujours à la limite, Ian Gillan ne le fait plus non plus de nos jours, mais à l’époque, ça sonnait fantastiquement bien.

Parlons maintenant de tes projets hors Dream Theater. As-tu des nouvelles à propos du T.S.R. Project ? (N.d.A. : Le True Symphonic Rochestra est l’enregistrement qu’effectua James avec Vladimir Grishko et Thomas Dewald en Russie à la fin du printemps 2006 des 21 chansons que les célèbres 3 Ténors avaient enregistré en 1990. Ce projet, à l’initiative de Dirk Ulrich, est un mélange classique/rock avec un son qu’on nous promet phénoménal). Toujours pas de sortie en vue ?

Nous sommes en train d’essayer de récupérer les droits pour ce projet. Il y a eu déjà plusieurs réunions avec différents labels. Cela ne devrait plus tarder à être finaliser, car quelle que soit la maison de disques choisie, est-ce que ça changera quelque chose pour l’auditeur ? Ne t’inquiète pas : la sortie est proche maintenant.

As-tu également enregistré d’autres vocaux pour d’autres personnes pendant cette dernière année d’inactivité de Dream Theater ?

Non, pas vraiment. Je me suis juste reposé et j’ai pris le temps de vivre. Oh, si, j’ai fait une chanson pour le prochain album solo de John Macaluso, mais c’est tout. Je n’ai pas vraiment fait quelque chose d’autre. Durant cette dernière année, je voulais juste être avec ma famille, faire le vide dans ma tête. C’est ainsi que je peux revenir aujourd’hui, ressourcé à fond !

Et à propos de ton quatrième album solo ? As-tu planifié quelque chose ?

Il y a quelques chansons qui sont déjà écrites. C’est une question de temps pour finir l’écriture et planifier le processus d’enregistrement. Je pensais pouvoir le faire rapidement, mais en même temps, j’ai réalisé que nous étions parti pour une nouvelle tournée mondiale avec Dream Theater. Je conserve néanmoins l’espoir que je pourrais le faire bientôt.

Tout en te remerciant de m’avoir consacré un peu de ton précieux temps, je te laisse le mot de la fin, si tu as quelque chose à dire à nos lecteurs…

À tous tes lecteurs et fans de Dream Theater. J’espère vous voir très prochainement sur la tournée. Nous sommes vraiment très excités de revenir et d’être en contact avec nos fans. Nous sommes impatients de jouer ce nouvel album live. Vraiment, nous verrons autant de fans que d’amis qu’il est possible de le faire. See you soon !

Personnellement, je pense aller vous voir à Clermont-Ferrand le 26 juin.

OK Gilles ! Je te verrai là-bas ! Take care !

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